ÉLOGE DE LA SOBRIETE

Eloge de la sobriété par Jean Pélissier

En ces temps troublés où l'abondance matérielle et l'agitation mentale règnent en maîtres, revenons un instant aux trésors oubliés que nous offrent les trois grandes philosophies chinoises : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme.

Toutes trois, malgré leurs différences apparentes, convergent en un même point lumineux : l'éloge de la sobriété.

Le taoïsme nous enseigne que la simplicité est la plus grande richesse.

Lao Tseu écrivait : « Celui qui sait se contenter ne connaît pas la disgrâce. »

À trop désirer, à trop posséder, nous perdons notre ancrage naturel avec la Terre et le Ciel. Nous nous alourdissons de biens matériels inutiles qui voilent notre intuition profonde.

Cette accumulation incessante ne fait qu'épuiser notre énergie vitale, notre Jing, et disperser notre Shen, cette précieuse clarté d'esprit essentielle à notre bien-être.

En adoptant la sobriété, nous restaurons cet équilibre primordial et retrouvons notre capacité à vibrer en harmonie avec l'univers.

Confucius, quant à lui, insiste sur la modération et la rectitude morale.

À l'heure où les plaisirs immédiats et les satisfactions éphémères gouvernent nos vies, il nous rappelle que l'excès engendre toujours la confusion et le chaos.

L'équilibre confucéen se situe dans la sobriété de nos actes et de nos désirs.

« L'homme noble est sobre dans ses paroles et diligent dans ses actions », disait-il.

Lorsque nous sommes submergés par le matérialisme, nous perdons la capacité d'agir selon notre vraie nature humaine.

La sobriété matérielle et intellectuelle nous redonne ainsi accès à notre dignité et à notre authenticité.

Enfin, le bouddhisme souligne à quel point l'excès de pensée est source de souffrance.

Notre mental, constamment surchargé de désirs, d'attentes et de projections, nous éloigne irrémédiablement du présent.

La sobriété mentale, c'est le dépouillement de ces pensées inutiles, cette pratique régulière qui nous permet de retrouver la paix intérieure.

Le Bouddha nous invitait à marcher sur la voie du milieu, là où réside une sagesse apaisée, détachée des tumultes du désir et de l'attachement.

C'est en libérant notre esprit de l'excès de réflexion que nous expérimentons véritablement la liberté.

Comme le souligne si justement François Cheng :

« Chaque expérience de beauté, si brève dans le temps tout en transcendant le temps, nous restitue chaque fois la fraîcheur du matin du monde. »

La sobriété n'est pas seulement un renoncement, elle est une célébration du juste milieu, une danse légère avec la vie. Elle nous permet de savourer l'essentiel, de cultiver l'élégance discrète d'une existence simple et authentique.

Évitant ainsi les pièges de l'excès matériel et du bavardage mental, nous découvrons une source intarissable de joie sereine et de lucidité profonde.

En suivant ces chemins tracés par les sages chinois, accueillons l'éloge de la sobriété comme un guide précieux pour retrouver le sens véritable de notre existence.

Laissons-nous inspirer par la simplicité du Tao, la modération confucéenne et la clarté bouddhiste, afin que notre vie devienne une harmonieuse mélodie jouée sur la corde sensible de la sobriété.

Et finissons par cette profonde donnant sens à la sobriété.

« Trente rayons convergent au moyeu,
mais c’est le vide médian qui fait marcher le char.
On façonne l’argile pour en faire des vases,
mais c’est du vide interne que dépend leur usage.
Une maison est percée de portes et fenêtres,
et c’est le vide encore qui permet l’habitat.
Ainsi, l’être produit l’utile,
mais c’est le non-être qui le rend efficace. »

(Tao Te King, chapitre 11)